Poèmes et contes d’Asie Centrale

Poèmes et contes d’Asie Centrale

Échanson, le temps du plaisir est venu, ne le retarde pas de ton absence,
Apporte des boissons flamboyantes, laisse, en discussions, passer la nuit dans le vin,
Apporte du vin pur, prépare les instruments,
Orne la nuit de la lune car nous sommes avec cette lune-là.
Annule la tristesse du jour, installe la demeure du plaisir,
Réjouis l’âme et le coeur de ta voix, du tchang et de la flûte.
Fais que tous ceux de l’assemblée, bruyants du plaisir du vin,
Buvant verre après verre soient ivres et égarés.
Où est mon aimée consolante, où est celle qui partage ma tristesse,
Où est le nuage printanier qui va pleurer avec Babour ?

— Babour (1483-1530)

Omar Khayyam

Mathématicien et astronome du 11ème siècle. Omar Khayyam fut aussi un philosophe-poète. Il est né en 1048 à Nichapour et mort en 1131.
Un personnage en quête de vérité à travers la science, la philosophie et les plaisirs de la vie. Devant les abimes insoudables du ciel et les zones d’ombre de la vie, quelqu’un se réfugie en Dieu, un autre essaie d’unir morale et raison, Khayyam, lui reconnait son ignorance et surtout son mépris pour l’improuvable. Omar Khayyam qui se contentait de l’arome d’un jasmin et du sourire d’une jeune fille a été immortalisé par ses 170 quatrins ou robai.
Poète renommé, auteur de nombreux Rubayats (poèmes en persan), comme par exemple celui-ci dédié à l’univers:

«Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres»

«Si ceux qui aiment le vin et l’amour vont en enfer,
Tu verras le paradis demain plat comme la main»

«Cette céleste Roue à nos yeux suspendue
Est lanterne magique étonnant notre vue.
Du milieu, le soleil éclaire la lanterne,
Et nous tournons autour, images éperdues»

« Prudence, voyageur!
La route où tu marches est dangereuse
Le glaive du Destin est très affilé
Si tu vois des amandes douces, ne les cueille pas. Il y du poison ».

« Nous ne quittons un verre de vin ni jour, ni nuit,
Nous ne laissons les filles en paix ni jour, ni nuit,
Si nous sommes ainsi, c`est Dieu qui nous fait ainsi.
Nous sommes toujours avec le vin, les femmes, Dieu jour et nuit... »

Petit conte d'Asie Centrale

Il était une fois un roi qui avait peur de vieillir et voulait rester toute sa vie beau et jeune. Pour ne pas voir les autres vieillir autour de lui, il décide faire décapiter tous les plus de cinquante ans. C'est une véritable horreur, les gens se cachent mais le roi arrive à les trouver quand même. Il n'y a quasiment plus de gens de plus de cinquante ans dans tout le royaume. Un jeune homme décide de cacher son père dans les montagnes pour lui sauver la vie. Il lui rend visite tous les jours pour lui donner à manger, en faisant bien attention de ne pas se faire suivre par les hommes du roi.  Un jour, en se promenant, le roi voit un très beau vase rempli de fleurs magnifiques dans le fond d'un lac. Il promet une récompense à celui qui le lui amènera. Un premier jeune homme se jette à l'eau puis, un deuxième, un troisième, un quatrième... Le roi enrage: "ces jeunes hommes sont des empotés !". Les uns après les autres, tous les jeunes du royaume échouent:  il n'y a rien au fond du lac. Lors d'une de ses visites quotidiennes, le jeune homme qui a caché son père dans la montagne lui raconte cette histoire. Le père réfléchit et demande à son fils :
- "Est-ce qu'il y a un arbre sur les rives du lac ?"
- "Oui, il y a un arbre énorme" répond le fils
- "Est-ce que cet arbre se reflète dans l'eau ?"
- "Oui, je crois"
- "Et bien, mon fils, le vase est sans doute dans l'arbre et pas dans le lac."
Le soir même, le jeune homme se rend au bord du lac, lève la tête et aperçoit le vase dans l'arbre. Il le ramène au roi mais négocie auparavant la vie de son père.
- "Mon roi, j'ai trouvé le vase que vous souhaitiez tant."
- "Alors, je te dois une récompense. Que souhaites-tu ?"
- "Roi, je vois ai trahi en cachant mon père, qui a plus de cinquante ans, dans les monatgnes. Je ne veux pas qu'il meure. Laissez le vivre, c'est la seule récompense que je souhaite." Le roi accepte cette récompense car il a fait une promesse mais il ne veut pas voir ce vieil homme sur son chemin : "Si je le croise, je le tue". Le roi interroge quand même le jeune homme pour savoir comment il a fait pour trouver le vase. C'est alors que le roi se rend compte qu'un seul homme a trouvé là où tous les jeunes ont échoué. Il décide donc de ne plus tuer les plus de cinquante ans : "Finalement, vieillir n'a pas que des mauvais côtés !".


Le ghazal

Le ghazal est un poème d'amour décrivant les états d'âme de l'amoureux et son regard sur sa bien-aimée. Mais il a peu à peu évolué pour prendre des formes plus philosophiques, mystiques ou satiriques. Certains traducteurs se sont posé la question du sens caché à attribuer au ghazal. Celui-ci est-il purement la description d'un amour charnel ou bien ne cache-t-il pas une dimension plus mystique? La question se pose pour le poète Hafiz de Chiraz qui manie avec délicatesse le mélange des genres ou pour Alisher Navoiy très empreint de symbolisme soufi. Cette ambiguïté est favorisée par la langue qui rend difficile la distinction entre le féminin et le masculin et qui permet ainsi une lecture à double sens : l'être aimé est-il une femme ou bien Dieu?

Le ghazal se répand en Asie Centrale au gré des invasions. Au XVe siècle, le poète ouzbek Alisher Navoiy produit les premiers ghazals en ouzbek et contribue à donner à cette langue ses premiers écrits littéraires.


Poésie d’Alisher Navoi

Nizomiddin Mir Alisher Navoiy (1441-1501) est un célèbre
Né à Hérat (Afghanistant), humaniste aussi bien que mystique, poète et homme d'état (il fut vizir), vénéré en Ouzbékistant, il est considéré comme "le père de langue ouzbek".

Attendant ma lune je jette mes regards de tous côtés :
tant que je ferme puis j'ouvre les yeux, les larmes restent éloignées.
Quémandeur, je suis le chien errant sur la route :
le chien devant, je vais derrière.
Si croyants et sages viennent semer le trouble en mon âme,
aux brèches de mon coeur, tristesse et douleur se dressent comme gardes.
Même si tu ne la vois pas l'eau éteint les flammes, l'une après l'autre :
larme après larme, les pleurs s'assèchent aux épines des cils.
Je sais qu'entre tes lèvres, dans ta bouche, le sel de ta langue
est comme le dard à miel de l'abeille perçant le pétale de rose.
Ermite, songeant à tous moments à cet abri qu'est la méditation,
tant que je vis, je ne quitterai pas ce monde.
Ne parle pas Navoï, emplis ton verre encore :
à toujours le remplir, tu finiras par t'y noyer. 

traduit de l'ouzbek par Hamid Ismaïlov - Alisher Navoï, Gazels et autres poèmes, Orphée - La Différence, 1991.

Layli et Majnun

Majnoun et Leila (arabe majnûn : fou (amoureux), laylâ : Leila ; nuit) est une histoire d'amour orientale proche de celle de Roméo et Juliette qui a inspiré de nombreux écrivains et artistes musulmans comme Nizami, Djami ou Mir Alisher Navoï.

L'histoire de Majnoun et Laïla est très ancienne. Au Moyen-Orient, en Asie centrale, chez les Arabes, Turcs, Afghans, Tadjiks, Kurdes, Indiens, Pakistanais et Azerbaïdjanais, elle est l'histoire d'amour la plus populaire. "L'idéal naît de l'amour. Sans amour il n'y a pas d'idéal et quand l'amour fléchit, l'idéal disparaît. C'est pourquoi notre idéal ne peut pas être donné à quelqu'un d'autre, car chacun est attiré par une certaine forme de beauté, de bonté et de bonheur. À ce propos l'on peut citer l'histoire de Majnoun et de Leïla. Majnoun était un tout jeune homme qui aimait Leïla depuis l'enfance de l'amour le plus tendre. Mais ils n'appartenaient pas au même clan, de sorte que les parents étaient mécontents de ce sentiment réciproque et qu'ils cherchaient sans cesse à éloigner les jeunes gens l'un de l'autre. Un jour, un ami de la famille de Majnoun lui dit : "Mais cette Leïla que tu aimes avec tant de constance n'est pas plus belle que d'autres !". Majnoun répondit: "Pour voir Leïla il faut avoir les yeux de Majnoun". Elle trouve ses racines dans la Perse de Babylone, tout comme Roméo et Juliette, qui s'appelaient en leur temps Pyrame et Thisbé. Les Bédouins la firent leur et la propagèrent au fil de leurs voyages et conquêtes.

Il y a bien longtemps, le beau Qays, fils d'une illustre famille de Bédouins, tombe éperdument amoureux de sa cousine Laïla. Le jeune homme est poète et ne peut s'empêcher de chanter son amour à tous les vents. Il exprime sans retenue son souhait d'épouser la belle Laïla.  Erreur ! Fatale erreur ! Chez les Bédouins, il est de tradition que ce soit les pères qui règlent les mariages. Le désir crié par Qays est une ombre sur leur autorité et ceux-ci refusent donc cette union.  Il se sert de ses poèmes comme d'une arme contre le pouvoir. La famille de Laïla obtient alors du calife la permission de tuer l'arrogant amoureux. Le calife fait venir Laïla pour voir sa si grande beauté. Il découvre avec surprise qu'il s'agit d'une jeune femme plutôt maigre, au teint brûlé par le soleil. Il décide alors de faire venir Qays et l'interroge : "Pourquoi aimes-tu cette femme qui n'a rien d'extraordinaire ? Elle est moins belle que la moins belle de mes femmes". Et Qays répond : "C'est parce que vous n'avez pas mes yeux, je vois sa beauté, et mon amour pour elle est infini." La famille de Qays demande Laïla en mariage contre cinquante chamelles. Mais le père de Laïla refuse. Qays perd la raison. Son père l'emmène à La Mecque pour qu'il retrouve ses esprits, mais le jeune homme entend une voix qui lui crie sans cesse le prénom de son amour. Son obsession est telle qu'on l'appelle alors le majnoun (le fou) de Laïla. Un jour que Majnoun est tranquillement chez lui, rêvant à son amour, un ami vient le prévenir que Laïla est devant sa porte. Le poète fou a pour seule réponse : "Dis-lui de passer son chemin car Laïla m'empêcherait un instant de penser à l'amour de Laïla". Quelque temps plus tard, Laïla se maria et quitta la région. Majnoun partit vivre dans le désert avec les animaux sauvages. Certains prétendirent l'avoir vu manger de l'herbe avec les gazelles.

Un jour, on découvrit son corps inanimé, protégeant un ultime poème dédié à son amour...